samedi 31 décembre 2011

Gino Bordin vu par Patrick Modiano


Gino Bordin est l’une des figures du roman De si braves garçons (1982).

Modiano en fait le professeur de guitare du collège de Valvert, où sont pensionnaires les "braves garçons" en cause.
"Chaque jeudi, Gino Bordin, notre professeur de guitare venait au collège par le car de la porte Saint-Cloud. (…) Le premier, il avait introduit en France la guitare hawaiienne et c’était là son titre de gloire."

Comme souvent chez Modiano (par exemple pour Henri Séroka), ce personnage s’inspire très directement d’une personne réelle : Gino Bordini, né en 1899 en Italie et devenu Gino Bordin après son arrivée en France en 1926. Aujourd’hui méconnu, il fut effectivement l’un des pionniers de la guitare hawaiienne dans l’Hexagone, à la fin des années 1920 et au début des années 1930.
Il composa de nombreux morceaux et enregistra une série de disques. Avec Louis Ferrari, il écrivit notamment la musique de Te chérir une nuit, une chanson interprétée par Tino Rossi sur des paroles d’André Viaud.
Après guerre, Bordin traversa une passe plus difficile. Comme le raconte Modiano, il fut alors professeur de guitare, chez lui, rue Audran à Paris, mais aussi dans des établissements scolaires privés.
Le portrait qu’en dresse Modiano, costume sombre, pochette et cravate de soie claires, lunettes à fines montures argentées et cheveux coiffés en arrière, est également conforme à la réalité.
Gino Bordin mourut en 1977, cinq ans avant la publication de De si braves garçons.

On retrouve 14 morceaux joués par Gino Bordin sur la compilation Paris, Plages d’Hawaii – Guitares hawaiiennes (Paris Jazz Corner/Universal Jazz, 2006).
Le livret, signé Cyril Lefebvre, cite le texte de Modiano.

Sans mentionner directement Gino Bordin, Patrick Modiano avait déjà évoqué la guitare hawaiienne dans Memory Lane, un récit écrit juste avant De si braves garçons.

L’un des personnages, émigré lui aussi, Georg Bluëne devenu Georges Bellune, est le compositeur d’une opérette, Roses d’Hawaï. "Inconsciemment, il avait espéré que les pétales de roses et les caresses des guitares hawaïennes sur les arbres du Ring et Unter den Linden conjureraient le mauvais sort", écrit Modiano.

Contrairement à Bordin, Georges Bellune n’a pas existé. Le personnage est en partie inspiré du compositeur hongrois Paul Abraham (1892-1960), auteur de l’opérette La fleur de Hawaii (Die Blume von Hawaii).
Gino Bordin, lui, a composé un morceau intitulé Rose d’Hawaï.

Un long passage du livre-enquête Dans la peau de Patrick Modiano, de Denis Cosnard (Fayard, 2011) est consacré à Gino Bordin et à la saga hawaïenne qui traverse plusieurs textes de Modiano. 
Gino Bordin et sa guitare



Patrick Modiano vu par Vincent Delerm



Plus de trente ans après avoir écrit une série de chansons, Patrick Modiano est devenu à son tour en avril 2004 le personnage central d’un succès de Vincent Delerm, Le Baiser Modiano.

La chanson, publiée sur l’album Kensington Square, raconte une jolie scène typiquement parisienne : un soir, près du square Carpeaux, dans le 18ème arrondissement, un couple croise Patrick Modiano.

"C'est le soir où près du métro
Nous avons croisé Modiano
Le soir où tu voulais pas croire
Que c'était lui sur le trottoir
Le soir où j'avais dit "Tu vois
La fille juste en face du tabac
Tu vois le type derrière de dos
En imper gris c'est Modiano"
(…)
Et le baiser qui a suivi
Sous les réverbères, sous la pluie
Devant les grilles du square Carpeaux
Je l’appelle Patrick Modiano"


Pour lire les paroles complètes

Pour Vincent Delerm, il s’agit clairement d’un hommage à Patrick Modiano :
"Modiano compte aussi beaucoup. Les titres de ses bouquins me ravissent: La Ronde de nuit, Voyage de noces, Villa triste... Et sa manière d'aborder le thème de l'Occupation sous un angle esthétique. Ma chanson Le Baiser de Modiano relève de cet esprit: fixer un moment - un baiser - en fonction d'un événement - croiser Modiano. L'idée m'est venue le jour où quelqu'un s'est retourné sur moi dans la rue. J'ai pensé: "Tiens, personne ne reconnaîtrait Modiano, et pourtant...""(Entretien avec Gilles Médioni, "L’Express", 12 avril 2004).

"Le Baiser Modiano est un des morceaux que je préfère de mon deuxième album. La mélodie, simple -deux accords- est très atmosphérique. C’est une chanson brumeuse, à la Modiano justement, dont les romans sont plein de visions cotonneuses de silhouettes et de visages. C’est frappant dans Un pedigree, quand il cherche à situer des gens qu’il est sûr de connaître. Modiano fait partie des artistes qui m’intéressent vraiment. Et son nom est si beau…"
(Entretien avec Sophie Delassein, "Le Nouvel Observateur", 21-27 septembre 2006).

A voir : Vincent Delerm sur le site de Tôt ou tard


mercredi 28 décembre 2011

Henri Seroka, chanteur et personnage de Modiano




Henri Seroka est un chanteur et compositeur issu d’une famille polonaise et né à Anderlecht, en Belgique.

Il commence sa carrière comme chanteur, et enregistre en particulier en 1969 un titre intitulé Les Oiseaux reviennent, sur des paroles de Patrick Modiano et une musique de Hughes de Courson (ed. musicales Fantasia).
Ce titre est sorti en octobre 1969 sur un 45 tours édité par Festival, et orchestré par le musicien Saint-Preux. Il comportait trois autres chansons : La Valse de l'enfance (paroles et musique de Saint-Preux), Sur la plage, et Je ne vous dirai plus je vous aime (de Gilles Vignault).
La pochette du disque mentionne le Grand prix de la presse obtenu par Henri Seroka au festival de Sopot, en Pologne, en août 1969.

Par la suite, Henri Seroka a surtout effectué une carrière de compositeur de musique, souvent symphonique, pour des artistes comme Ivan Rebroff, Betty Dorsey et Lulu, ou encore pour des films.
Pour en savoir plus : le site officiel de Henri Seroka.

Patrick Modiano évoque Henri Seroka et la chanson Les Oiseaux reviennent dans le chapitre IX de Livret de famille.
Le narrateur, en séjour à Lausanne, y rencontre à la piscine "un ami de Paris, un jeune chanteur d’origine belge nommé Henri Seroka", "sosie d’Errol Flynn".
"Il avait participé – m’expliqua-t-il – au Tilleul d’or de la Chanson à Evian (...). Le jury l’avait sélectionné en demi-finale puis éliminé au dernier tour (…). Henri Seroka me ramenait à un passé encore proche, aux après-midi où nous traînions, mon ami Hughes de Courson et moi, dans les locaux désolés des Editions musicales Fantasia, rue de Grammont. Nous y écrivions des chansons et Seroka avait interprété l’une d’elles : Les Oiseaux reviennent, qui lui valut un accessit au Festival de Sopot et une médaille au Grand Concours de la chanson de Barcelone."



Les deux pochettes
avec le titre Les Oiseaux reviennent

Bon voyage, un film de Rappeneau cosigné par Modiano



Bon voyage
est un film français de Jean-Paul Rappeneau, sorti le 16 avril 2003.
Au générique: Isabelle Adjani, Virginie Ledoyen, Gérard Depardieu, Grégori Derangère, Yvan Attal…
Le film, une comédie, décrit les derniers jours de la IIIème République, lorsque le Tout-Paris (politiques, financiers, vedettes…) se retrouve précipitamment en exode à Bordeaux en juin 1940.

Patrick Modiano a écrit une première version du scénario, "un récit d’une cinquantaine de pages", retravaillé ensuite par d’autres scénaristes : Gilles Marchand, Jérôme Tonnerre, Julien Rappeneau (fils du cinéaste).
A ce titre, Patrick Modiano et ses coscénaristes ont été "nominés" pour le César 2004 du meilleur scénario original, finalement attribué à Denys Arcand pour Les Invasions barbares.
Jean-Paul Rappeneau : "Je me souviens du travail avec Modiano comme d’un moment particulièrement joyeux. Il ne passe pas pour un comique, mais nous n’avons pas cessé de rigoler" (interview au "Monde", 14 août 2002)
"Le film est né de nos différences. Patrick a eu très vite une certaine idée de l’histoire, et comme il n’arrivait pas à l’expliquer complètement, moi je finissais ses phrases. Il disait : ‘Oui, alors, euh… elle pourrait, enfin, euh… elle pourrait…’ Je piaffais : ‘Elle pourrait… le tuer?’ ‘Oui, euh, c’est ça…’ " (propos rapportés par "Télérama", 16 avril 2003).

Patrick Modiano : "Je connaissais bien le climat de ces moments-là. Plus jeune, je voyais beaucoup Emmanuel Berl, qui avait vécu ces quelques jours à Bordeaux. Il m’avait raconté cet entassement du Tout-Paris, ces mondains, figurants ridicules d’une villégiature forcée. On a discuté longtemps avec Jean-Paul, j’en ai tiré un récit d’une cinquantaine de pages. J’ai été fasciné par sa technique, diabolique, d’entrecroiser les anecdotes, les personnages. C’est un peu le contraire d’un roman, cette complication. C’est horrible à dire, mais, dans un roman, on peut s’en tirer à meilleur compte, on peut utiliser la suggestion. Pas au cinéma. Jean-Paul entrelaçait sans perdre le fil, dans des arabesques incroyablement fluides, comme le serti d’un joailler" ("T
élérama", 16 avril 2003).

Le Fils de Gascogne, un scénario cosigné par Patrick Modiano




Le Fils de Gascogne est un film français de Pascal Aubier (1995), sur un scénario de Pascal Aubier et Patrick Modiano.
Avec Laszlo Szabo, Grégoire Colin, Jean-Claude Dreyfus, Pascal Bonitzer, etc.
Durée : 1h40.

Synopsis
Harvey, jeune provincial et guide à l’occasion, accueille à Paris une troupe de chanteurs géorgiens venus pour quelques jours donner des concerts. Au cours d’un repas dans un restaurant, un client affirme reconnaître en Harvey le fils de Gascogne, figure centrale et séduisante du cinéma et de la vie parisienne des années 1960.

En 1996, après la sortie du Fils de Gascogne, le réalisateur Pascal Aubier a publié un livre intitulé Les Mémoires de Gascogne, sous-titré Promenades à travers le cinéma des années soixante-soixante dix en France, en URSS et en famille (éditions Sybarite – Yellow Now).
Le livre comporte de nombreuses photographies, notamment du film Le Fils de Gascogne.

Dans ce livre, constitué en partie de conversations avec Bernard Eisenschitz, Pascal Aubier revient sur son film et plus largement sur l’ensemble de sa carrière.

Pascal Aubier évoque en particulier la façon dont il a travaillé avec Modiano.
"Quand on a commencé à bavarder avec Patrick Modiano, comme ça, sans aucun projet, c’était juste parce qu’on se voyait assez souvent du fait que nous habitions le même immeuble. (…) En parlant de cette époque, on a commencé à s’apercevoir qu’on s’était croisés de nombreuses fois sans jamais se rencontrer vraiment, que nos mères –Louisa Colpeyn et Zanie Campan- étaient toutes les deux comédiennes, qu’elles étaient dotées de personnalités peu banales, que nous n’avions plus de père ni l’un ni l’autre… et que ça faisait un grand vide."


Le livre comporte aussi de longs extraits des propos sur le cinéma tenus par Patrick Modiano dans le cadre de l’émission "Cinéma Cinémas" 2, le 6 novembre 1990.
Notamment : "C’est un peu comme les rêves de films que je faisais souvent. Je me souviens de certains titres qui me faisaient rêver, il y avait un film qui s’appelait Je reviendrai à Kandara, un autre Marguerite de la nuit, un autre Clara de Montargis – et je me disais que ce n’était même pas la peine de les voir, parce que je serais déçu. Le titre suffisait, on n’avait pas envie de dissiper le mystère."

A voir aussi : Patrick Modiano sur les traces du cinéma de son enfance, par Pascal Aubier
Le site internet de Pascal Aubier
Les autres scénarios de Patrick Modiano

Le livre de Pascal Aubier
Le scénario original

Un innocent (Madame le juge), un scénario signé Patrick Modiano

Photogramme du film Un innocent
Un Innocent est le titre d'un film de télévision réalisé en 1975 sur un scénario de Patrick Modiano, dans le cadre de la série Madame le juge. 

Cette série télévisée policière a compté six épisodes mettant en scène Simone Signoret, Michel Vitold, François Perrot, Didier Haudepin, et Jean-Claude Dauphin.
Simone Signoret, une des premières vedettes de cinéma à accepter de tourner pour la télévision, y incarnait la juge Elisabeth Massot, une femme d’une cinquantaine d’années qui mène ses instructions avec fermeté mais compassion, et réussit toujours à faire éclater la vérité.

Patrick Modiano a écrit le scénario et les dialogues de l’épisode Un Innocent, réalisé par Nadine Trintignant.
Cet épisode est également interprété par Philippe Léotard, Juliet Berto, Etienne Chicot, Marie Trintignant et Pierre Vernier, ainsi que par Luisa Colpeyn, la mère de Patrick Modiano.


"Troisième scénariste à s’atteler à un épisode après Alphonse Boudard et Pierre Dumayet, Modiano n’en réussit pas moins à transplanter ici encore une partie de son univers. Plutôt qu’Un innocent, ce téléfilm tragique quoiqu’un peu simpliste et longuet pourrait s’intituler une fois de plus Albert a des ennuis! Non seulement le personnage principal porte le prénom du père de Modiano, le nom d’un des vieux amis de celui-ci, Paulo Guerin, et tente d’échapper aux griffes de la police. Mais il triche aussi sur son âge, comme Modiano lui-même à l’époque. Et cet ex-légionnaire, nostalgique du maréchal de Lattre, du baroud et des hymnes militaires, ressemble par plusieurs traits à l’ancien du bled Guy de Marcheret, personnage marquant des Boulevards de ceinture. De plus, les souvenirs d’enfance à Beauvais de cet Albert Guérin coïncident parfaitement avec ceux de Patrick Modiano à Jouy-en-Josas, tels qu’ils seront évoqués dans Rue des boutiques obscures et Remise de peine".
(Denis Cosnard, Dans la peau de Patrick Modiano, Fayard, 2011)

Des gens qui passent, une adaptation de Modiano




Des gens qui passent est un film de télévision réalisé par Alain Nahum. Il s’agit d’une adaptation du roman de Patrick Modiano Un cirque passe. Le scénario est signé Jacques Santamaria.
Durée : 1 heure 34 minutes.
Première diffusion le vendredi 20 novembre 2009 à 20h35 sur France 2.

Les interprètes : Laura Smet (Marie), Théo Frilet (Jean),Hippolyte Girardot (Grabley), Gilles Cohen (Pierre Ansart),Thomas Jouannet (Jacques de Bavière), Jean-Michel Dupuis (un inspecteur), Laurent Bateau (Guelin), Charley Fouquet (Hélène Blanchard), Gabrielle Forest (Dora), Claire Perot (Sylvette)...

Patrick Modiano est "un écrivain majeur, à l’univers très personnel, qui a été peu adapté au cinéma et jamais à la télévision, et il me semblait intéressant, à une époque où l’on parle d’amener le patrimoine à la télévision française, de tenter l’aventure", dit le réalisateur, Alain Nahum.
"Deux livres en particulier m’avaient marqué, Rue des boutiques obscures, que je n’ai pas renoncé à adapter peut-être un jour, et surtout Un cirque passe, qui me semblait très cinématographique et me parlait de manière intime. C’est une histoire des années 60, ces années qui m’ont constitué en tant que personne, qui ont formé ma cinéphilie, et j’y voyais tout un tas d’échos : les films de Melville, Godard, Truffaut, etc., le Saint-Germain-des-Prés existentialiste, l’univers du polar, l’ombre de la guerre d’Algérie et de l’OAS…, on y parle de partir en Italie, comme on rêvait tous de le faire alors. C’est à la fois un roman d’initiation, une sorte d’A bout de souffle à l’envers et un polar existentiel."

"Modiano inadaptable ? Rien de ce qui avait été tenté jusque-là autour de l'auteur de Rue des boutiques obscures et de La Place de l'Etoile n'avait été très convaincant. Moshe Mizrahi avait totalement raté Une jeunesse, Manuel Poirier avait transposé Dimanches d'août en le fondant dans son propre univers, et même Patrice Leconte n'avait que partiellement séduit avec Le Parfum d'Yvonne, tiré de Villa triste et dont le maître avait été mécontent au point d'exiger que le titre en fût changé. Il semblait que la matière même de ces livres fugaces, faits de fausses intrigues policières, de mystères entrelacés, d'atmosphère liée purement à l'écriture, ne soit réfractaire à l'image. Alain Nahum prouve que, même si elle n'est pas totale, la réussite est possible."(Hubert Prolongeau, "Le Nouvel Observateur", novembre 2009)

A découvrir sur le site tvmag.com: une présentation vidéo de ce téléfilm par ses deux principaux acteurs, Laura Smet et Théo Frilet.

mardi 27 décembre 2011

"Avec Klarsfeld, contre l’oubli", un texte de Patrick Modiano

"Avec Klarsfeld, contre l’oubli" est le titre d'un texte de Patrick Modiano publié dans "Libération" le 2 novembre 1994.
Republication dans le "Cahier de L'Herne"  consacré à Modiano (janvier 2012). 


Dans ce texte important, écrit à l’occasion de la publication par Serge Klarsfeld du Mémorial des enfants juifs déportés de France, Patrick Modiano évoque l’importance décisive pour lui du livre antérieur de Klarsfeld, le Mémorial de la déportation des juifs de France (1978).


"Son mémorial m’a révélé ce que je n’osais pas regarder vraiment en face, et la raison d’un malaise que je ne parvenais pas à exprimer. (…) Après la parution du mémorial de Serge Klarsfeld, je me suis senti quelqu’un d’autre. (…) Et d’abord, j’ai douté de la littérature. Puisque le principal moteur de celle-ci est souvent la mémoire, il me semblait que le seul livre qu’il fallait écrire, c’était ce mémorial, comme Serge Klarsfeld l’avait fait. Je n’ai pas osé, à l’époque, prendre contact avec lui, ni avec l’écrivain dont l’œuvre est souvent une illustration de ce mémorial : Georges Perec."

Modiano explique ensuite qu’il a voulu suivre l’exemple de Klarsfeld, et expose le cas de Dora Bruder. Il cite l’annonce de "Paris-Soir" passée par ses parents, et raconte qu’il a retrouvé le nom de Dora Bruder dans le mémorial de Klarsfeld.

"Grâce à Serge Klarsfeld, je saurai peut-être quelque chose de Dora Bruder."

Sous le même titre, "Avec Klarsfled, contre l’oubli", Alan Morris (University of Strathclyde) a consacré en 2006 une intéressante analyse aux différentes versions du livre Dora Bruder, et aux relations entre Modiano et Klarsfeld.
"Journal of European Studies", Vol. 36, n°3, 269-293

Voir aussi : les lettres de Modiano à Serge Klarsfeld

Georges Perec & Patrick Modiano

De nombreux points de contacts relient Georges Perec (1936-1982) à Patrick Modiano, dont "trois ou quatre cents rencontres textuelles", selon Roland Brasseur, qui a commencé à en dresser l’inventaire avec Denise Cima.

Raymond Queneau a joué un rôle de père en littérature pour Modiano (il lui a ouvert les portes de Gallimard) comme pour Perec, qui assurait être "à 97%" un "produit de l’Oulipo", l’Ouvroir de littérature potentielle fondé par Queneau.

La Boutique obscure. C’est le titre d’un recueil de 124 récits de rêves publié par Perec en 1973. Il fait référence à la rue des Boutiques obscures, à Rome.
Cinq ans plus tard, Modiano publie son roman Rue des boutiques obscures.
Il obtient le Prix Goncourt. Au dernier tour, les jurés lui accordent 6 voix contre une pour La Vie mode d’emploi, le « romans » de Perec qui reçoit quelques jours plus tard le prix Médicis.

En décembre 1978, le "Nouvel Observateur" publie "Noël vu par sept écrivains français". Le premier texte est celui de Modiano, "1 rue Lord Byron". Le dernier, celui de Perec, "Une rédaction".

"L’esprit particulier à notre école où le sport primait tout" (De si braves garçons) n’est pas sans rappeler le fantasme olympique de W ou le souvenir d’enfance, de Perec.

Modiano a évoqué plusieurs fois Perec.
En particulier en 1994, dans un article intitulé "Avec Klarsfled, contre l’oubli".
"Après la parution du mémorial de Serge Klarsfeld, je me suis senti quelqu’un d’autre. (…) Et d’abord, j’ai douté de la littérature. Puisque le principal moteur de celle-ci est souvent la mémoire, il me semblait que le seul livre qu’il fallait écrire, c’était ce mémorial, comme Serge Klarsfeld l’avait fait. Je n’ai pas osé, à l’époque, prendre contact avec lui, ni avec l’écrivain dont l’œuvre est souvent une illustration de ce mémorial : Georges Perec."

En 1996, répondant dans "l’Evenement du jeudi" à une question de Patrice Delbourg, il cite une série de points communs entre eux :
"-Dans votre mythologie personnelle, le culte de la disparition est essentiel. Vous partagez cela avec Georges Perec. Est-ce un auteur que vous appréciez ?
-Malheureusement, je n’ai pas eu la chance de… mais c’est un écrivain qui m’émeut… à la fois son amitié avec Queneau… son obsession des listes… son drame familial… son amour de Paris, la rue Vilin, tout ça… il était posté à côté, là, café de la mairie, place Saint-Sulpice… il guettait le contenu des sacs des ménagères… j’adore ça !"


Dans sa préface à Paris et la photographie, en 2003, Modiano s’interroge, à partir d’une photo de Pierre Getzler représentant la maison natale de Georges Perec, démolie depuis : "Quand retrouverons-nous le 24 de la rue Vilin ?"

Perec cite une seule fois Modiano, dans un jeu de Perec/rinations, à propos de La Place de l’étoile, à la fois nom de lieu parisien et titre de roman.

A lire sur Modiano et Perec
-Claude Burgelin : Les parties de dominos de Monsieur Lefèvre. Perec avec Freud – Perec contre Freud, Circé 1996 (en particulier pp178-180).
-Roland Brasseur, Denise Cima : "Les Boutiques obscures : Modiano et Perec", communication présentée au séminaire Perec le 29 mai 1999.
-Roland Brasseur : Je me souviens de Je me souviens, Le castor astral 1998. Consacré à Je me souviens, de Georges Perec, cet ouvrage très riche comporte de nombreuses références à Modiano.
-Myriam Ruszniewski-Dahan : Romanciers de la Shoah, si l’écho de leur voix faiblit, L’Harmattan 1999 (ouvrage consacré à Perec, Modiano et Romain Gary).
-Jeanne Bem : "La mémoire, l’écriture et l’impossible à dire". Antelme, Modiano, Perec. Colloquium Helveticum, n°27, 1998.
-Maryline Heck: "La constitution d’une mémoire fictive dans W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec et Dora Bruder de Patrick Modiano". Mémoire de DEA, Université Paris-III, 2004. Une version courte de ce travail a été publiée dans Texte, n°41/42, 2007, "L’autobiographique 2".
-Annelise Schulte Nordholt: Perec, Modiano, Raczymow. La génération d'après et la Mémoire de la shoah, éditions Rodopi, 2008.

-Denis Cosnard : "Perec-Modiano, un dialogue imaginaire", revue "Europe", numéro spécial Perec, janvier 2012.

Sites sur Perec :
-Association Georges Perec
-Le site de J.-B. Guinot
-Georges Perec présenté par l’Oulipo



lundi 26 décembre 2011

Suzanne et Alain Charell, Gisèle et Urbain T., personnages de Modiano

Alain et Suzanne Charell forment un couple étrange qui revient à plusieurs reprises dans les livres de Patrick Modiano.

Alain Charell est d’abord le personnage central du chapitre XI de De si braves garçons (1982).
Le narrateur, Patrick, y retrouve par hasard à la gare du Nord l’un de ses anciens camarades de collège, Charell. Ce dernier l’entraîne dans un appartement meublé du quartier, boulevard de Magenta, qui lui sert de garçonnière ainsi qu’à sa femme Suzanne. On y croise notamment un ami du couple, François Duveltz.
Quelque temps plus tard, Charell est retrouvé dans cet appartement, blessé par deux balles de revolver…

On trouve dans Fleurs de ruine (1991) deux histoires proches de celle des Charell.
Le livre évoque d’abord un fait divers daté d’avril 1933. Un jeune ingénieur chimiste, Urbain T., est marié à une jolie blonde, Gisèle S. Un samedi soir, il sortent pour dîner, vont dans un bar de Montparnasse, puis semble-t-il dans un dancing du Perreux, et y rencontrent deux autres couples. Vers deux heures du matin, tous se retrouvent chez Urbain et Gisèle T. Au cours de la nuit, "deux coups sourds retentirent". Les deux époux sont retrouvés l’un mort, l’autre en train d’agoniser.


Il s’agit d’un fait divers réel, l'"orgie mortelle" de Gisèle et Urbain Thuau, que Simone de Beauvoir mentionne déjà dans La Force de l’âge :
"Un jeune ingénieur chimiste et sa femme, mariés depuis trois ans et fort heureux, ramenèrent une nuit chez eux un couple inconnu, qu’ils avaient rencontré dans un cabaret ; à quelles orgies se livrèrent-ils ? Au matin, le jeune ménage se donna la mort." (Gallimard 1960). 



La presse de l'époque avait largement évoqué ce fait divers, à l'image de cet article de "Ouest-Eclair" d'avril 1933 : 
"Après  le Champagne, le revolver"
"La seconde victime succombe 
PARIS, 27 avril. — On a encore présente à la mémoire la tragédie navrante qui dans la nuit de samedi à dimanche, ensanglanta un petit appartement, 26, rue des Fossés-St-Jacques. On se souvient qu'après une soirée passée dans diverses boites de nuit, un jeune ingénieur chimiste, Urbain Thuau, soldat au 22e B.O.A., alors que sa femme venait de  tenter de se suicider, se tira lui-même un coup de revolver en plein cœur. Urbain Thuau fut tué sur le coup ; sa femme avait été transportée à l'hôpital Cochin, où pendant plusieurs jours on garda quelque espoir de la sauver. Tous les efforts  auront été vains : Gisèle Thuau est morte cette nuit à 23 h. 15"

Le narrateur de Fleurs de ruine se souvient ensuite avoir été entraîné en 1965 par "un homme d’environ trente-cinq ans" nommé "Duvelz ou Devez" dans un appartement boulevard Raspail. Avec son amie Jacqueline, il s’y retrouve face à Duvelz et une jeune femme dont ce dernier caresse les seins, prélude sans doute à une nuit chaude… Mais le narrateur et son amie préfèrent s’éclipser.

Les Charell réapparaissent dans Du plus loin de l’oubli (1996).
Partant d’un scénario qu’il a lu, intitulé Blackpool Sunday, le narrateur se met à écrire une histoire.
Dans un café situé "juste en face de la gare du Nord", ses deux héros rencontrent "un couple étrange, les Charell, dont on se demande ce qu’ils peuvent bien faire par ici : elle, une femme blonde d’allure très élégante, et lui, un brun qui parle d’une voix douce. Le couple les invite dans un appartement, boulevard de Magenta, pas très loin de leur hôtel. Les chambres sont dans la pénombre. Mme Charell leur verse à boire un alcool..."

L’histoire des Charell a été adaptée au cinéma par Mikhaël Hers en 2006.
Son moyen métrage s’intitule justement Charell.

Charell, un film de Mikhaël Hers d'après Patrick Modiano

Une scène du film
Charell, un moyen métrage de 45 minutes, est le premier film de Mikhaël Hers.

Il est librement adapté du chapitre XI du roman De si braves garçons (1982). Le narrateur, Patrick, y retrouve par hasard à la gare du Nord l’un de ses anciens camarades de collège, Charell. Ce dernier l’entraîne dans un appartement meublé du quartier, dans lequel il amène des filles. Quelque temps plus tard, Charell est retrouvé dans cet appartement, blessé par deux balles de revolver…

"Ce chapitre m'a inspiré parce qu'il s'y jouait tout ce qui anime ‘‘l’univers Modiano’’ (dimension impressionniste et mélancolique), mais qu'il était également empreint d'une violence plus sourde", explique Mikhaël Hers.

Terminé en 2006, le film a été présenté au festival de Cannes en mai, dans le cadre la Semaine internationale de la critique.

Le film est interprété par Jean-Michel Fête, Marc Barbé, Anicée Alvina, Dinara Droukarova, Marie Kremer, Pierre Louis-Calixte et Philippe Suner.
Scénario de Mikhaël Hers et Mariette Désert, d’après Patrick Modiano.
Production: Les Films de la Grande Ourse (Florence Auffret).
Coproduction : Les Films du Dimanche.

Après des études de sciences économiques et de socio-anthropologie, Mikhaël Hers a intégré la Fémis à Paris. Depuis sa sortie de l’école en 2004, il a produit un documentaire de Show-Chun Lee et les courts métrages de Darielle Tillon et Martin Rit. Charell est son premier film.
Depuis, Mikhaël Hers a notamment réalisé en 2010 un long métrage intitulé Memory Lane, sans être pour autant une adaptation du livre de Modiano qui porte ce titre.


Le parfum d’Yvonne, un film d'après Villa Triste de Patrick Modiano




Le Parfum d'Yvonne
, de Patrice Lecomte est une adaptation du roman de Patrick Modiano Villa Triste (1975). 

Produit en 1993, le film est sorti le 23 mars 1994.
Durée : 1h29.

Les principaux acteurs sont :
Hippolyte Girardot (Victor Chmara)
Jean-Pierre Marielle (le docteur René Meinthe)
Sandra Majani (Yvonne Jacquet)
Richard Bohringer (l’oncle Roland)
Paul Guers (Daniel Heindrickx)
Corinne Marchand (la patronne de la pension des Tilleuls)
Philippe Magnan (Pulli)
et Claude Dereppe (Roger Fossorié).
"Avec Le Parfum d'Yvonne (1993), Patrice Lecomte affirme un certain goût pour l'insolite. Il conserve la trame du roman de Patrick Modiano Villa Triste, mais s'approprie le style et en fait un film personnel où la langueur de l'été se mêle à la tristesse d'un présent sans avenir." (source : Encyclopédie du cinéma Bifi)

Apprécié par certains, Le Parfum d’Yvonne a néanmoins constitué un relatif échec commercial, avec seulement 158.836 entrées lors de sa première exploitation en France. Rien de commun avec les scores triomphaux de certains autres films de Patrice Lecomte, comme Les Bronzés (1978), Viens chez moi, j'habite chez une copine (1980) ou plus tard Ridicule (1995).

Dans un entretien à la revue "Ecran Noir", Patrice Lecomte s’est expliqué sur cet échec et celui de son film suivant, Les Grands ducs :
"Deux gros échecs. Là c'était une mauvaise passe, comme on appelle ça. Le Parfum d’Yvonne, c'était le plus gros échec. Mais, il y a des choses qui m'ont échappé dans Le Parfum d’Yvonne, il y a des choses que je reprocherais toute ma vie aux producteurs. Il y a des choses qui sont devenues pas bien par leur faute. Et je n'avais plus de force, je n'arrivais plus à me bagarrer. Ça m'a servi de leçon pour le restant de mes jours. Il faut avoir des forces jusqu'au dernier moment. Pour se bagarrer à tout prix, pour essayer de faire valoir tout ce qu'on veut faire.
Le problème du Parfum d'Yvonne... Je voulais faire délibérément peut être pas un film érotique, mais un film sensuel. Un film qui soit purement et simplement l'expression de la sensualité. La lumière, de la peau, de l'odeur, du plaisir de ne rien faire,... enfin bon tout ça.
Et j'ai trouvé chez Modiano l'écho de ça, avec ce joli livre que j'aimais depuis longtemps; j'y trouvais quelque chose d'infiniment languide dans ce bouquin, dans ce personnage d'Yvonne, aussi. Et à l'arrivée, un peu en me laissant, aller à ça, j'ai fini par faire un film... esthétisant, presque.
Il y a des gens qui adorent ce film. Je rencontre des gens qui me disent qu'ils aiment ce film, que c'est mon meilleur film, qu'il ne faut pas que je dise ça, etc. Je sais quelles sont les limites de ce film là. En revanche, dans Le Parfum d’Yvonne, je sais tout ce que j'adore, et tout ce que j'adore c'est ce qu'il y a autour de Jean-Pierre Marielle. Parce que je le trouve gé-ni-al.
L'échec du Parfum m'a rendu triste, mais je dois dire que j'ai assez vite compris pourquoi les gens n'aimaient pas le film. Pourquoi le film, on n'aurait pas du le faire ou pas comme ça,... j'ai assez vite digéré ma douleur, ma tristesse en me disant que c'était normal. « C'est bien fait pour moi ! » Enfin vous voyez ce que je veux dire..."

Pour lire l’entretien complet.

On trouve sur le site cineclap un amusant relevé des références au cinéma des années 1950 dans Le Parfum d’Yvonne.




Généalogies d’un crime, avec Patrick Modiano



Généalogies d’un crime est un film français de Raoul Ruiz, sorti le 26 mars 1997, avec Catherine Deneuve, Michel Piccoli, Melvil Poupaud, Andrzej Seweryn, Bernadette Lafont, Monique Melinand, Hubert Saint-Macary, Mathieu Amalric… et Patrick Modiano. 

Durée: 93 minutes
Ours d’argent au festival de Berlin 1997
Scénario : Pascal Bonitzer.
Producteur : Paolo Branco.

Patrick Modiano interprète dans ce film un petit rôle, celui de l’ex-mari de Catherine Deneuve. Il apparaît au crématorium, quand on incinère son fils, mort dans un accident de la route [comme Françoise Dorléac, la sœur de Catherine Deneuve].

L’idée de proposer ce rôle revient à Catherine Deneuve.
"Il se trouve que le rôle était court et c’était celui d’un écrivain. J’ai donc pensé à Modiano à cause de sa fragilité, de son côté décalé, de sa nature d’éternel rêveur, et j’ai aimé le sentir à mes côtés. (...) Je trouve Modiano extraordinaire avec son petit foulard, ses lunettes noires, ses grands airs à la fois empruntés et protecteurs. (…) Au même moment, c’est vrai, il écrivait ce texte sur ma sœur. Il y a beaucoup d’inconscient dans cette scène !"
(Interview de Catherine Deneuve au "Nouvel Observateur", 1997).

Patrick Modiano : "C’était la première fois que je faisais l’acteur, sûrement la dernière d’ailleurs… Mais les lieux ont une telle importance pour moi… J’étais impressionné que le tournage se passe dans cet hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, où Artaud a été interné… Je crois beaucoup à ce genre de coïncidence, qu’il ait lui-même tourné dans des films et qu’il ait été enfermé là, c’est étrange… Et puis, on entendait des hurlements pendant qu’on tournait, il y a des malades encore maintenant, je me disais que ce n’était pas un hasard et tout ça se mélangeait dans ma tête… Mais ce que j’aimais, c’était l’attitude de Raoul Ruiz, il gardait toujours son calme, n’élevait jamais la voix, il avait une certaine douceur… comme les plus grands metteurs en scène, je crois."(Interview aux "Inrockuptibles", 1997).

Pour en savoir plus sur Patrick Modiano et le cinéma

Quand Patrick Modiano écrit à Gallimard

A l’occasion du centenaire des éditions Gallimard, fondées en 1911, la Bibliothèque nationale de France et Gallimard ont réalisé une exposition et coédité un bel album retraçant cette saga.

Parmi de nombreux autres documents, on trouve dans cet ouvrage le fac similé d’une lettre adressée par Patrick Modiano à Gallimard en 1981.

L’auteur de La Place de l’étoile y explique pourquoi il a démissionné du comité de lecture au bout de quelques mois seulement (il n’en est membre que du 24 mars au 23 juin 1981). "La plupart de ces lectures ne sont pas stimulantes et elles finissent par vous faire douter de ce que vous écrivez vous-même : après tout est-ce tellement mieux ?", y écrit Patrick Modiano.

Il y annonce aussi à son éditeur que les éditions POL (qui n’appartenaient alors pas encore à Gallimard) vont publier sous peu une version illustrée par Pierre Le-Tan de sa nouvelle Memory Lane, initialement parue dans la revue NRF.

Gallimard, 1911 - 2011 - Un siècle d'édition

Sous la direction d'Alban Cerisier et Pascal Fouché.
Avec les contributions d'Olivier Bessard-Banquy, Alban Cerisier, Pascal Fouché, Virginie Meyer, Gisèle Sapiro, Hervé Serry et Anne Simonin.
Coédition Éditions Gallimard / BNF
Relié, 250 x 250 mm

408 pages, environ 350 illustrations couleur
Prix : 49 euros

Le site de l’exposition

dimanche 25 décembre 2011

La Guerre des cancres lue par Patrick Modiano

Patrick Modiano a signé la préface (4 pages) du livre La Guerre des cancres, Un lycée au coeur de la Résistance, de Bertrand Matot, sorti chez Perrin en août 2010.

Cet ouvrage est consacré à l’histoire du lycée Rollin (aujourd’hui Jacques-Decour), à Paris, durant la seconde guerre mondiale.
Le lycée fut débaptisé à la Libération pour porter le nom d’un de ses professeurs, engagé dans la Résistance et fusillé par les nazis en mai 1942, Daniel Decourdemanche dit Jacques Decour.
Berty Albrecht, Henri Alleg, Jean-Claude Brisville, Jacques Decour, Jean-Toussaint Desanti, André Essel, Yves Jouffa, Yvonne Le Tac, Edgar Morin, Jacques-Francis Rolland, François Truffaut, et, après la guerre, Lucie Aubrac, Jean-Louis Curtis, Boris Cyrulnik, Jean-Pierre Vernant : tous sont passés par le lycée Rollin.

"Il y avait, à Rollin, plus d’électricité parisienne dans l’air que dans les autres lycées : voilà sans doute pourquoi il fut, pendant l’Occupation, ‘‘l’école de la Résistance’’", écrit Patrick Modiano dans sa préface, titrée justement L’Ecole de la Résistance.

Quelques pages du livre peuvent être téléchargées sur le site de l’éditeur.

A noter : La Guerre des cancres fournit incidemment une version de la mort du comédien Raymond Aimos, à Paris, en 1944, un sujet évoqué dans plusieurs livres de Patrick Modiano.

"Mes papiers" : Modiano évoque Gallimard

Gaston Gallimard
Sous le titre "Mes papiers", "Le Nouvel Observateur" du 3 au 9 février 2011 (n°2413) a publié un texte court de Patrick Modiano évoquant sa relation avec son principal éditeur, Gallimard.

En 2011, la plus prestigieuse des maisons d’édition française a fêté ses cent ans. A cette occasion, douze grands écrivains, dont Patrick Modiano, Milan Kundera, J.M.G. Le Clézio, Jonathan Littell, Anne Wiazemsky et Orhan Pamuk, ont raconté dans "Le Nouvel Observateur" ce qu’ils doivent à Gallimard.


Patrick Modiano, pour sa part, essaie de retrouver ce que "ce nom que portent mes amis Robert et Antoine Gallimard" évoquait pour lui vers 15 ou 20 ans. Il mentionne donc Gaston Gallimard, sa secrétaire personnelle Odette Laigle, mais aussi José Corti. Et il revient sur ce jour de juin 1967 où il a signé le contrat pour son premier roman, La Place de l’étoile, et où il s’est senti "léger pour la première fois de (sa) vie". Un souvenir déjà mentionné à la fin d’Un pedigree.


Dora Bruder et Patrick Modiano

Dora Bruder entourée de ses parents Cécile et Ernest

L'avis de recherche paru dans "Paris-Soir"
Décembre 1988
Dans un "Paris-Soir" du 31 décembre 1941, Patrick Modiano tombe sur un avis de recherche de Dora Bruder, passé par les parents de cette jeune fille de 15 ans.

"PARIS
ON RECHERCHE une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1 m. 55, visage ovale, yeux gris marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport marron. Adresser toutes indications à M. et Mme Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris."

"Je n’ai cessé d’y penser durant des mois et des mois. (…) Il me semblait que je ne parviendrais jamais à retrouver la moindre trace de Dora Bruder. Alors le manque que j’éprouvais m’a poussé à l’écriture d’un roman, Voyage de noces" (extrait de Dora Bruder).

Juillet 1990
Dans Voyage de noces, Modiano ne cite pas directement Dora Bruder, mais évoque une jeune fille, Ingrid Teyrsen, qui en est directement inspirée.

A la fin du roman, une page également publiée en dernière de couverture, Modiano reprend même l’avis de recherche de Dora Bruder, avec quelques modifications :
-Dora Bruder devient Ingrid Teyrsen
-15 ans devient 16 ans
-1,55m devient 1,60m
-yeux gris-marron devient yeux gris
-manteau sport gris devient manteau sport brun
-pull-over bordeaux devient pull-over bleu clair
-jupe et chapeau bleu marine devient jupe et chapeau beiges
-chaussures sport marron devient chaussures sport noires
-M. et Mme Bruder devient M. Teyrsen
-41 boulevard Ornano devient 39 bis boulevard Ornano

Novembre 1994
Dans un texte-clé publié par "Libération", "Avec Klarsfeld, contre l’oubli", Patrick Modiano mentionne pour la première fois Dora Bruder sous son vrai nom. Il cite l’annonce de Paris-Soir, et indique qu’il a retrouvé le nom de Dora Bruder dans le Mémorial de la déportation des juifs de France édité par Serge Klarsfeld.
"Ces parents et cette jeune fille qui se sont perdus la veille du jour de l’an 1942, et qui, plus tard, disparaissent tous les trois dans les convois vers Auschwitz, ne cessent de me hanter. Grâce à Serge Klarsfeld, je saurai peut-être quelque chose de Dora Bruder."

1994-1996
Modiano poursuit son enquête, avec l’aide décisive de Serge Klarsfeld, qui retrouve pour lui plusieurs photos de Dora Bruder, et lui fournit d’autres informations sur la jeune fille.
Modiano et Klarsfeld échangent alors plusieurs lettres.

Mars 1997
Modiano a mené à bien son enquête. Il la raconte dans Dora Bruder. Finie la fiction, disparue Ingrid Teyrsen. Place à la réalité, ou du moins à ce que l’on peut en retrouver, plus de 50 ans après. Modiano mêle à ce récit les souvenirs de sa propre adolescence, en particulier ceux d’une fugue qu’il fît en janvier 1960.
Serge Klarsfeld n'est pas cité dans le récit. Il s'en émeut dans une lettre à Patrick Modiano.

1999
Dora Bruder paraît en poche, dans une version légèrement amendée et enrichie, grâce à de nouvelles informations.
Pour une analyse très fine des différences entre les deux versions, et plus généralement du travail de Modiano sur Dora Bruder, lire
"Avec Klarsfeld, contre l’oubli : Patrick Modiano’s Dora Bruder", par Alan Morris, "Journal of European Studies" 2006 (article en ligne).

Novembre 2005
L’histoire continue. Le livre de Modiano a provoqué un choc chez nombre de ses lecteurs, et en particulier chez Françoise Verny. A la lecture de Dora Bruder, l’éditrice se souvient d’une amie, deux ans plus âgée que Dora, qu’elle avait dans sa jeunesse, et qui est morte elle aussi en déportation. C’est ce qu’elle raconte dans un livre posthume, Serons-nous vivantes le 2 janvier 1950 ?
Modiano en signe la préface.

Patrick Modiano, Dora Bruder et Françoise Verny

Patrick Modiano a signé la préface du livre de Françoise Verny Serons-nous vivantes le 2 janvier 1950 ?
Première publication : Grasset, octobre 2005 (120 pages).

Dans cet ouvrage posthume, dont la fin est datée du 4 octobre 2000, l’éditrice Françoise Verny revient sur Nicole Alexandre, sa meilleure amie de lycée, internée à Drancy à l’hiver 1943, puis déportée et morte à Auschwitz en novembre 1943.
Plus de cinquante ans plus tard, c’est le livre de Modiano, Dora Bruder, qui fait soudain remonter le souvenir de cette amitié.

A lire : Dora Bruder dans les textes de Modiano

Extraits du livre
"Au printemps 1997, Patrick Modiano m’adresse son livre Dora Bruder avec une dédicace amicale. Nous nous sommes déjà rencontrés chez Gallimard. C’est la première fois qu’il m’envoie une œuvre de lui. Pressent-il le choc qu’il va provoquer ?
L’histoire de cette adolescente juive sous l’Occupation, qui fugue et oblige son père à faire appel aux autorités officielles, me bouleverse. (…)
Dora. Nicole. J’ai répondu à Patrick Modiano en associant ces noms, ces deux destins. (…) Quelques mois plus tard, Patrick Modiano m’écrit qu’il a retrouvé la trace d’une Nicole Alexandre, de deux ans plus jeune que Dora : elle habitait dans le XVIIe arrondissement, 2, square de Tocqueville. Etait-ce bien la mienne ?
C’était bien la mienne. (…) Grâce à Patrick et à Dora, je revis mes treize ans avec Nicole, vite oubliés, longtemps reniés."


Dans sa préface, Modiano présente la façon dont cette histoire a resurgi du passé : "J’ai l’impression de renouer le fil d’un dialogue interrompu. (…) Il aura fallu à Françoise Verny près de soixante ans pour trouver les mots".

Françoise Verny, née en 1928, a été journaliste au "Nouveau Candide", éditrice chez Grasset, Flammarion, Gallimard, scénariste pour la télévision, écrivain. Elle est morte le 14 décembre 2004.

Articles sur ce livre 
-L’amie retrouvée, par Jérôme Garcin, "Le Nouvel Observateur", 9 novembre 2005.
-La chronique de Pierre Assouline sur le livre



L’histoire d’un salaud, par Patrick Modiano

Une image de L'Histoire d'un salaud
L’histoire d’un salaud / un salaud dans l’histoire est le titre d’un film court (19 minutes) de Bastien Ehouzan, proposé en bonus dans le DVD de Lacombe Lucien (Arte vidéo, 2005).

Il est composé de deux interventions, l’une de Patrick Modiano, scénariste du film, la seconde de l’historien Pierre Laborie.
Seul face à la caméra, un œil sur un texte qu’il a écrit pour l’occasion, Patrick Modiano évoque ici longuement Lacombe Lucien, trente ans après la sortie du film.
Il détaille d’abord son travail avec Louis Malle, à partir d’un synopsis d’environ 8 pages proposé par le réalisateur, et explique pourquoi, à son avis, Malle a fait appel à lui :
"Maintenant que le temps a passé, on s’aperçoit au fond que ce sont les gens de ma génération, c’est-à-dire ceux qui sont nés en 44-45, et qui sont un peu le fruit de l’Occupation, qui ont mis à jour les non-dits et les secrets de cette période, qui ont même sorti les cadavres des placards, sans doute parce que dès leur enfance, ils sentaient qu’il y avait un malaise dans l’air et que leurs parents, qui avaient été les contemporains de cette période, ne crachaient pas vraiment le morceau ou s’abritaient derrière une légende, une langue de bois ou un silence."

Patrick Modiano revient ensuite sur plusieurs des éléments qui expliquent le choc causé par la sortie de Lacombe Lucien : le personnage de Lucien, mais aussi le fait que ce film sur l’Occupation soit l’un des premiers à montrer des juifs "de manière frontale", et qu’il soit en couleurs.

Erich Maria Remarque lu par Patrick Modiano

Patrick Modiano a écrit une nouvelle préface pour la réédition par les éditions Stock, en mars 2009, du roman d’Erich Maria Remarque A l’ouest rien de nouveau.
Le roman est traduit de l’allemand par Alzir Hella et Olivier Bournac.

"L’un des privilèges de la littérature, c’est justement de rompre le silence, de crever la carapace du conformisme, des idéologies et des mensonges politiques, de dire “Je”, au nom de ceux qui n’ont pas pu parler ou que personne ne voulait entendre", dit notamment Modiano dans son texte.

Présentation par l’éditeur
"Il faut relire À l’ouest rien de nouveau et la voix vibrante de ce jeune soldat allemand qui vécut l’expérience effroyable que fut pour cette génération encore adolescente l’épreuve de la Grande Guerre.
(…) En 1928, Remarque commet le sacrilège de donner pour la première fois la vision de cette jeunesse sacrifiée, à laquelle il appartenait. Plus de glorification des faits d’armes, mais l’omniprésence de la mort et le tableau de l’Apocalypse. Le livre est interdit. Il deviendra un film mythique, que les autorités allemandes essaieront d’interdire également. Mais la puissance d’évocation de cette œuvre est telle qu’elle résiste à toute censure. Elle incarne si justement la bêtise et la cruauté infinies des hommes qu’on pense forcément au désastre des conflits suivants, à la marque indélébile laissée aux survivants.
Ecrit à la première personne, au présent, avec une sobriété qui souligne l’horreur quotidienne du front et de la vie dans les tranchées, ce roman nous interpelle du fin fond de l’enfer, dans la plus déchirante intimité."

Né en 1898 à Osnabruck, Erich Maria Remarque fut mobilisé en 1916. De son expérience de la guerre il tira À l'Ouest, rien de nouveau, un roman d'inspiration pacifiste qui déchaîna la haine des milieux nationalistes. En 1933 ses livres furent brûlés en public et la nationalité allemande lui fut retirée en 1938. Mais il vivait déjà en exil depuis 1931.
Auteur de plusieurs ouvrages dont Arc de triomphe (1946) qui décrit la vie d'un médecin allemand en exil à Paris, Remarque est mort en Suisse en 1970.

Remarque en mars 1939

Lettres de Patrick Modiano à Françoise Hardy

Deux lettres de Patrick Modiano à son amie Françoise Hardy sont reproduites en fac-similé dans les mémoires de cette dernière, Le Désespoir des singes… et autres bagatelles, parues aux éditions Robert Laffont en octobre 2008 (412 pages, 21 euros) puis en collection de poche.

Les deux lettres se trouvent en annexe, pages 404 à 406. L’essentiel du texte de la première est, de plus, donné dans le corps du récit, page 131.

La première lettre est datée du 28 mai 1970, la seconde du 18 août 1970. Dans la première, à prendre au deuxième degré comme l’explique Françoise Hardy, Modiano se présente en protecteur, prêt à liquider ceux qui persécutent son amie. Dans la seconde, le jeune écrivain se décrit rapidement en tenue d’alpiniste.
Les deux courriers sont signés "Ton frère de lait, Patrick".

A lire, la critique du livre de Françoise Hardy dans le JDD : "La lucididé et la grâce"

Modiano et Anna Karina

La bande-annonce de Bande à part



Hanne-Karine Bayer, dite Anna Karina, est une comédienne, chanteuse et écrivain française d’origine danoise, née le 22 septembre 1940 à Copenhague (Danemark). 
Actrice fétiche de la "Nouvelle vague", Anna Karina a notamment tourné dans les films de Jean-Luc Godard Vivre sa vie, Le Petit soldat, Bande à part, Pierrot le fou, ainsi que dans La Religieuse de Jacques Rivette, L’Etranger de Luchino Visconti, etc. 

Anna Karina et la mère de Patrick Modiano, Luisa Colpeyn, ont participé ensemble au film Bande à part (1964), et à la dernière pièce de Jean Giraudoux, Pour Lucrèce, dans laquelle Jean-Luc Godard jouait aussi un tout petit rôle. C'est ainsi que Patrick Modiano a fait la connaissance d'Anna Karina.  
"Modiano l’avait rencontrée à l’occasion du tournage de Bande à part, et il m’a raconté comment elle l’emmenait au cinéma quand il avait 18 ans. Elle n’était pas beaucoup plus vieille, mais elle était déjà connue, et elle fréquentait des gens plus vieux que nous" (Pascal Aubier, in Les mémoires de Gascogne)

Pour Le Fils de Gascogne (1995), "Modiano et moi n’envisagions pas Gascogne sans elle. Mais, comme elle avait décrété que "demander à quelqu’un de jouer son propre rôle, ce n’est pas faire du cinéma", on a dû s’en passer", indique Pascal Aubier. 

En 1998, Patrick Modiano a écrit la postface du roman d’Anna Karina Jusqu’au bout du hasard (Grasset, 1998).
Le roman raconte l’histoire de deux filles de 12 et 14 ans qui fuguent. L’une a été violée par son père, l’autre est enceinte d’un petit dealer noir. "
Et la fugue devient cavale car, sans souci du bien ou du mal, les deux amies blessent, tuent, volent, comme elles sont blessées…" (présentation en quatrième page de couverture).
"Ce livre m’a plongé dans les mêmes sentiments que m’inspirait Anna Karina, quand je l’ai connue, à dix-huit ans", écrit Modiano dans sa postface, en évoquant en particulier la "grâce" dont la voix de la comédienne "enveloppait le moindre mot de français classique ou d’argot."

A la sortie de ce roman, Patrick Modiano a également participé à l’émission "Le bon plaisir" consacrée à Anna Karina par France Culture (première diffusion le 5 avril 1998).

Anna Karina (2009)

"Ce mystérieux André Rewelliotty"

Dans sa préface au disque Brèves rencontres de Jacques Dutronc (1995), Patrick Modiano évoque en quelques lignes la figure d’André Reweliotty, orthographié par erreur Rewelliotty:

"De même que Serge Gainsbourg, à ses débuts, jouait du piano au Club de la Forêt du Touquet, Jacques a couru vers vingt ans ces tournées incertaines qui le menaient du Casino des Sables d’Olonne à celui de Luc-sur-Mer, en compagnie d’anciens musiciens de Sydney Bechet – comme ce mystérieux André Rewelliotty qui s’était tué un jour, avant le spectacle, au volant de sa voiture américaine décapotable…"

Né le 30 avril 1929, le clarinettiste et chef d’orchestre André Reweliotty fut de 1952 à 1959 l’accompagnateur privilégié du musicien de jazz Sidney Bechet, à la fois en concert et sur différents disques.
Il est mort le 24 juillet 1962 dans un accident de voiture. Il était la vedette d’une tournée au programme de laquelle figurait notamment le jeune Jacques Dutronc, alors musicien au sein du groupe Les Cyclones. Partie de Biarritz, la tournée s’est bruquement achevée à Brest.

Plus d’informations sur André Reweliotty
et sur les débuts de Jacques Dutronc

André Réweliotty et son orchestre
jouent Charles Trenet
Un 45 tours de Sidney Bechet
et André Réwéliotty
Autre disque Bechet - Reweliotty